Jamila Abitar
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Jamila Abitar
Poète née à Marrakech en 1969. Après des études juridiques, Jamila Abitar a travaillé dans les services administratifs universitaires et à l’UNESCO.
Elle est actuellement chargée de la gestion administrative des 3 bibliothèques de la Ville de Cachan (Val-de-Marne) où elle réside et mène des actions de sensibilisation à la poésie dans les milieux scolaires.
Encouragée par des écrivains et notamment le poète Léopold Congo Mbemba, elle publie son premier recueil de poèmes L’aube sous les dunes en 2000 aux Editions L’Harmattan, Collection Poètes des cinq continents. Puis L’oracle des fellahs en 2002, Le bleu infini en 2009 et A Marrakech, derrière la Koutoubia aux Editions alfAbarre en 2012.
Elle est invitée à de nombreuses lectures en France et à l’étranger, dans des médiathèques, des librairies, des salons du livre et des festivals de poésie, notamment : Les Voix de la Méditerranée de Lodève, Festival international de Safi, Poètes en Résonances.
Il me plait que l'arbitraire de l'ordre alphabétique vienne placer, avec justesse, la page de Jamila au début de cette anthologie. Je ne connais Jamila que depuis peu de temps mais c'est assez déjà pour que sa belle présence m'apparaisse désormais comme essentielle et qu'un vrai dialogue se soit engagé entre nous, m'aidant aussi à surmonter cette douleur qui m'a fait un instant vaciller il y a de cela quelques semaines. Cette présence nouvelle est pour moi comme une renaissance.
Jamila rejoint ici deux autres poètes du Maghreb : mes amis Tahar Bekri et Ahmed El Inani. Et j'aime beaucoup cette sensibilité poétique que Jamel-Eddine Bencheikh m'avait fait découvrir il y a de cela quelques années déjà.
La poésie de Jamila est vraie, elle est d'une belle limpidité. D'une incomparable générosité. "Je ne saurais assurer le pas/ sans le risque d’une fragilité reconnue." nous dit-elle et c'est assez pour que nous la suivions car ce paradoxe nous désigne un beau chemin d'humilité. Un beau chemin d'exigence car l'humilité est ce qu'il y a de plus exigeant. La "fragilité reconnue" apparaît aussi quand on voit la belle Jamila lire ses textes et c'est cette fragilité qui porte cette émotion et cette tendresse qu'on éprouve devant cette lecture.
Cette poésie pleine d'images sensuelles questionne, nous questionne : "Quelle main habile relèvera le vol de l’oiseau ?/ Quelle empreinte ouvrira en nous/ les couleurs du ciel ?". Elle est ce laissez-passer "autorisé par l'invisible" qui "transporte l'existence vers les âmes éveillées". Cette poésie dit l'urgence soit "la voix inscrite sur chaque visage,/ le souffle qui invite les abîmes du cerveau./ la musique qui prend feu dans les gorges de la vie."
Oui, simplement - et comme la simplicité est exigeante ! - cette poésie, dans sa belle fragilité, dit l'amour. Elle est l'amour-même.
Merci Jamila pour les mots que tu portes, qui nous portent, qui me portent.
Un poème inédit de Jamila :
Chemin d’errance
(Extrait inédit)
Que de folies n’avons-nous pas fait
pour trouver le poème ?
Que de folies n’avons-nous pas connues
pour écouter le murmure de l’ombre ?
Je ne distingue plus le jour de la nuit
je ne vois plus la limite du ciel
j’existe dans ce vent fou que nul ne retient.
Je me rappelle la note singulière
noyée dans le chagrin
je me retiens de nommer le poème.
Créateur, ton nom suffira à évoquer la grâce.
C’est ici et maintenant que se joue le verbe
dans une ultime déraison, je touche son nom.
Je vous écris ce que j’ai peine à raconter.
Je vous écris ce que l’émotion la plus forte
à provoqué en moi.
Quelle main habile relèvera le vol de l’oiseau ?
Quelle empreinte ouvrira en nous
les couleurs du ciel ?
L’éternel regard du soleil levant.
D'où je viens, rien n'est plus clair,
s'élargissent les mots, les pleurs et la censure.
D'où je viens,
la brise du matin est une évidence
et j'aurais tort de croire au seul pouvoir des mots.
J’ai vu la stupeur remplir leurs yeux,
rebrousser chemin.
Il faut être du pays pour parler aux pierres.
Il faut être d’ailleurs pour reconnaître les fleuves.
D'où je viens la musique est noble,
elle atteint des hauteurs
que seule l’ivresse ou la langue peuvent approcher.
Des vents et des sables m’ont emportée
d’aucune nuit, je ne suis revenue
d’aucun sol je ne suis
je sais seulement ce qui demeure.
La rosée du matin enseigne l'éternel renouvellement.
J’étais au bord du Nil,
au sommet d’une pyramide d’amour,
là où la lumière est miroir,
lueur déportée,
palpitations d’une vie fragile,
intense de vives émotions.
J’ai le souvenir de la lune couverte de mille joyaux.
Je me rappelle le visage de Samarkand,
la caresse venue de l’infini.
Si de près ou de loin je touche l'arbre,
je me saurai vivante,
poème en marche,
rencontre de l’intérieur, dite aussi demeure.
Et j'éteindrai, alors, l'obscurité de nos jours
des pluies que l'on n'a pas vu tomber.
Troublée dans mon sommeil,
les yeux clos, j'ai rêvé de ce que j'aurais pu faire.
Accompagner la voix,
la manifestation d’un être vivant
pour me vider du poème.
Que me reste-t-il quand la nuit tombe
et que le froid me rend aveugle
de mon amour absent ?
L’urgence, c’est la voix inscrite sur chaque visage,
le souffle qui invite les abîmes du cerveau.
la musique qui prend feu dans les gorges de la vie.
Tandis que je songeais au poème avorté
le clair de lune me fit signe d'arrêter.
Brise l’exigence, admet la fulgurance
et son feu rempli de désirs.
Le grain de sable devient détail à prendre,
une vie témoigne de son passage,
rêve un autre rêve,
une fontaine,
un inconnu
une situation devenue halte
ou un poème sans fin.
Nous oublions souvent que sous une montagne de colère,
il y a un enfant à consoler.
***
Autres poèmes (lus au festival de Lodève en 2012)
(Extraits)
Tant de matins sous les dunes
reposent sur le silence des vers
partis en sable parmi les mots,
dans un champ où la forme devient réalité.
Témoigner de la marée, poursuivre l’écume
en trombe du temps.
Au fond des bronches, je serai blanchie,
dessalée dans le corail.
Retournée au fond des pyramides
mémoire accueillie,
enquête le corps de mon vivant
ce don vide qui emporte le temps.
Démon désert, de matins sous les dunes.
En cette mouvance
cent mains pourraient me transformer
en pierre.
Avale le sable de lumière
et souffle les moissons mirages,
fêtes de proses humaines
qui ne meurent point.
Les fous tirent la langue
à la science bloquée
d’Arts chimère morts.
Aux frontières ils imaginent
le rêve, l’âge qui craint
l’ombre et les démons.
Partout dans des textes,
des prétextes dans le regard
pour voir entre les mains.
Pour parler tout bas
et suivre l’éclat des étoiles
dans la lueur de la pluie.
***
L’oracle des fellahs
(Extraits)
Fleuve errant
Saisit la transparence
Traverse les songes
Des hommes mystérieux
Qui pour aller au delà
Déshabillent le présent.
Je vois l’Atlas enneigé
Les vents de sable
Hantés de saints
Courir les dunes
Saisis-toi de l’instant
Au lever du soleil
De ces êtres
Que l’on ne voit pas
Pour courir les siècles
Hier et demain
Dormir à l’abri des guépards
Gestuelle en forme de croissant
L’inédit du corps
Chauffe l’écrit
L’ombre froide rassure.
Une caravane d’expressions
D’idées granit
D’indulgence remarquée
Echange des loups
Au sommet des montagnes
Un buisson de secrets
Ravive la beauté
***
Le temps éclaire
L’ordre soufi
Je puise les mots
Dans la chair
Des êtres disparus
Voix de terre
Essence naturelle
De l’homme libre
L’appel au vocable
Marche sur ce sable
Attend l’heure
Où les mots tombent
Avec justesse
Sur le palier
L’inconnu sonne
L’Atlas se réveille
Insigne d’une mémoire
La parade retrouvée
Concordance de l’image
Répond à l’appel
En éveil
Par des enclaves de modernité
Sauve l’étendue cyclique
Qui se répète chevauche
L’insaisissable lumière
Chemin par lequel
Le nomade
Traîne l’imagination
File sur les pistes
Vertueuses
Rime la lance de tissu
Avec l’empreinte de ses pas
Accolé à nos mains
L’orgueil transite
L’ordre s’y est mis
Ô charme des ruelles
Obscure a été ma mémoire
File de route
Encombré de souvenirs
De reste
Destin de brumes
Météore
L’astre gémit en dernier ressort
Noirs d’étendues amères
Sonde la clarté
De la terre
Les pas consentants
Des va-et-vient
Gardiens
Annonceurs de voix
Conteurs
De fleurs sauvages
Accordez l’errance
Nostalgie relatée
Sans la moindre épine
Dans la paume
Chargé de jours
Butine l’éclat du reg
Suit les porteurs
D’ombres sourdes
Relate l’ocre terre
Les forêts de troncs
Les diagnostics de malheurs.
Pourpre couleur
Heure sombre
Ecoute les félins
L’écroulement des falaises
Glaise et béton
L’oracle se tait
Allonge son heure
Pour la caravane enracinée
La caravane passe
Le chien n’a pu aboyer
Brimé
Il préfère reste ivre
Surprendre ses ancêtres
Lourds de lettres.
***
Le bleu infini
(Extraits)
Je rêve d’une pleine lune
qui me raconterait la nuit
les splendeurs cachées
jusqu’à percer
le thorax du jour
sur ma table de nuit.
Le cœur de nomade élevé au rang de sable sait que nul ne s’éveille sans la lumière de l’autre. Pourtant, le désert effraie les maisons pleines de questions et d’incompréhensions.
Le chant du coquelicot
hébergé au sommet
parvient au enfants
immortels,
ils jettent des pierres
sur le diable.
Trouble qui fragilise la langue
et les âmes exilées
Des poètes cherchent pourtant l’entre chose
ce que personne ne perçoit.
Un tas d’écrits
légitimes et confus
de la résistance
comme au cinéma
se servir de la tragédie
pour faire applaudir
payer le projet humain
qui consiste à vivre.
***
Dispose donc de ta voix
pour pleurer les cellules de cendres
l’envergure d’une relation
sans militaires à la ronde
pour guetter les nids d’amour.
Un grain de sable
parcourt les mers
et brûle les forêts
aux milles éclats.
Il est de ceux-là
pour qui la parole
consiste à gratifier
le ciel.
Lève l’ancre
flâne,
les pierres tiennent au chaud
les paroles secrètent la voie
Par l’usage du silence
peint l’amour et son secret.
Par amour que je puisse écrire
ton nom sur la page la plus claire
que mes sombres souvenirs
emportent vers la lumière.
partage, proximité et union
sont ton visage.
Que de grandiloquences quand plane
au-dessus de nos têtes, la superbe lettre.
Par amour
ou il ne me sera plus possible
d’adorer la mosaïque de gestes
dansant la fin des temps
comme ces voix fuyantes
qu’il faudrait bien en se penchant
écouter battre des ailes
sur le carnage dont elles témoignent.
***
Fou rebelle
amoureux
et porteur de vie.
Il n’attend pas la nuit
pour se procurer
une lettre d’amour
qui une fois de plus,
suffira à guérir
l’esprit bien pensant.
Un murmure
circule entre les pierres
et le chant de l’arganier
L’eau coule
quelques chèvres grimpent
sur des arbustes.
Autant de musiques
entourent les douars
et leurs cimetières ouverts.
J’ai longé la muraille jusqu’au petit pont puis j’ai dévalé la petite colline qui mène à l’oued. Par chance, il n’avait pas décidé de gronder, ressusciter les mouvements de la terre. Calme il semblait inviter les poissons à circuler entre le secret de la transparence et la lumière du jour.
A quoi bon relater le brouhaha des citadins, les intrigues communautaires dans un livre ouvert ce sont les royaumes qui laissent l’imagination de chacun retrouver sa part de vérité. Le plaisir éprouvé à dire ce qui ne se dit pas.
Le silence perpétue l’instant
le regard se perd entre les mondes.
Chose visible,
la quiétude des morts
sort des nuées telle une promesse jetée
dans le bleu infini.
***
(Extraits)
J’avais oublié ma ville,
la mémoire des sucreries,
des dents cassées,
des bouches sans issues.
J’avais oublié mes frères noyés
sans avoir appris à nager,
près des barques trouées
de mon parcours de jeu.
J’avais oublié ma ville sans terre,
Marrakech, c’est en toi que je revis.
Koutoubia,
ta pierre réveille un peuple,
réveille mon être oublié.
Ma mémoire, vivante, rougit de tes reflets.
J’ai avalé ton sable et j’ai pleuré mes frères.
Et trahie par mes frères, j’ai sursauté,
combien de fois, depuis cent ans !
Lucide comme cette lumière que l'on voit,
cette rencontre entre ces murs
qui embrassent l'intemporel.
Je voudrais retrouver ma ville rouge, sa verdure,
ses champs d’empreintes de sang partagé.
Je voudrais me cacher derrière la Koutoubia
et sentir Jamaa El Fna veiller sur Marrakech.
A mon sommeil défendu, c’est le néant accompli.
Aussi loin que ma mémoire disparaît
le rêve d’un poème réussi.
Aussi loin que mes rêves réussis,
la splendeur d’une vie sans histoires.
Un souffle parmi le souffle,
un être dans le tout être.
Les dalles ont remplacé la terre,
les moteurs ne laissent plus le temps
au passant
d’adorer la lumière du matin.
Les rues gardent leur secret
dans les nouveaux pas.
Quand la ville s’illumine,
le bleu de l’écrit interpelle
et court vers ce que la poésie,
seule, permet de dire.
Derrière les remparts,
la liberté d’être partout et nulle part,
la faculté de penser une langue,
épris par l’errance, en écrire une autre
dans un corps qui transporte l’heure
qui s’arrête, perdue dans la gorge
d’une terre humide.
Les corbeaux des plaines
et les vallées de roses
écoutent le chant profond.
Quand les siècles déchirent le ciel,
la beauté de la langue s’élève
telle une tornade de rêves,
un moment propice au recueillement.
Cinq heures.
Sous un soleil de plomb,
Marrakech m’appelle.
La caravane approche,
le cimetière se vide.
La dérive se trouve au bord du rivage.
Je rejoins le marché, le chemin des artistes.
Mogador me montre du doigt :
« Toi, qui viens chercher le rêve,
bois ce thé et souviens-toi
que d’autres t’ont précédé
sur le chemin de l’errance ! ».
J’attends la fraîcheur du matin et le cessez-le-feu.
J’attends les humains et leur amour parfait.
Les corps mourront peut-être en paix.
Ni balles, ni larmes. Seulement des adieux.
Un chemin qui se rompt
pour rejoindre une aube nouvelle !
J’ai perdu ma raison
et mes rêves
se sont endormis.
Rendre visible le silence des remparts,
pour redonner de la voix au sable,
incombera au porteur d’exil.
Réinvestir d’anciennes respirations,
du petit matin au grand soir,
se donner la peine de regarder.
Caresser les pleurs invisibles,
des heures passées à se dire vivant.
Je suis un brin devant l’immensité.
J’ai l’espoir d’un matin sans soir
qui m’appartiendrait,
jusqu’au souffle qui deviendrait inspiration.
***
Pour dire :
le silence,
le sommeil profond,
le cours des nuits,
la fille voilée,
la marche décalée,
le vide ininterrompu.
Qui de nous serait le plus vivant ?
***
Comme cette larme peinte au bleu du ciel,
au bois d’azur,
le feu est sous la glace.
Les oiseaux ne peuvent plus voler,
et nous non plus !
J’imaginais le pire, ne tenir que d’un papier.
Absurdité d’identité,
légume des villes cabossées,
des rues sans nom, sans âme,
sans moi dans leur devenir…
La création, comme œuvre de devenir :
silence, oiseau —
celui que l’on ne nomme
que très peu.
Par certitude, servir la plante,
l’arroser d’expressions qui la feront grandir.
Dis la transparence du sable,
l’univers aux mille visages.
Rimes de discrétion dans le symbole…
A qui vint la vision, l’authentique passerelle
pour laisser place aux Porteurs de lumière.
J’ai embrassé ta voix,
d’innombrables luttes m’ont portée.
Discours, synthèses de mélancolie,
liqueur des vergers.
J’ai passé la soirée à tenir un proverbe debout
pour dire
le parent assis près de l’olivier
à attendre son heure,
pour dire
le temps perdu
à se chercher dans des bruits de hasard,
pour nouer
la voix aux mots,
l’extraire pour un temps de sa médiocrité.
Mesurer la parole jusqu’au revers de la plume
et raturer les lignes bavardes de legs sanglants.
Quel inconnu fidèle me soufflera à l’oreille
les couleurs de la phrase magique ?
Je relis les poètes
et je vois en eux un humanisme effroyable
qui décrit toutes les nudités de l’humanité.
Ils maintiennent mes divagations
au stade d’applications,
et je vois l’être qui ne cesse de marcher,
celui qui, vivant, est la mort sur paroles.
J’ai rencontré des troupes au hasard des rues,
et j’ai arrêté mon temps.
Suspendue aux horloges, j’écoute et je m’enterre
encore plus loin que mes croyances.
Nomade dans l’âme,
j’ai traversé toutes les morts.
Exil
La nuit, lorsque les étoiles sont froides,
une tente, un feu,
et une mémoire qui revit…
Villages cubiques, neiges entassées,
quotidien de vies passées sous silence.
L’ocre embrasse nos corps en suspens.
L’oiseau tente de s’y retrouver.
Toubkal, mon étoile ! Tu seras mon repère !
Mes racines suspendues au crépuscule,
je me suis mise à pleurer
tous les bruits de moteur,
tous les brouillards traversés,
pour voir la corruption
ramper comme une illusion.
***
La nuit arrachée
Territoire authentique ou émeute :
on pleure l’hirondelle qui ne sait où aller,
maladresse de ne ressembler à rien
ou le plus vaste mot oublié
à l’intérieur d’un vase muet.
Beaucoup de paroles pour ne rien dire,
bien du plaisir à vouloir nouer les langues
qui défilent comme des blessures.
Guerre transparente,
il est si difficile de retenir sa bouche,
canal de vie, étoile du berger.
Je retrouve le verbe qui éveille
la source de chaleur
pendant que d’autres attendent
l’extase de la lune en rond.
Aux premières lueurs, j’attends mon tour,
le voyage de l’autre côté du sol,
là où les noms s’éternisent.
L’histoire des déesses noires n’est pas terminée.
Elle murmure les souffrances de la colombe
qui a perdu pied sur le terrain des hommes.
Ces histoires imagées,
que l’on aimerait voir sur des tableaux blancs,
immaculés…
Ma mémoire en chemin est aux pieds des racines.
Immanquablement, je leur parlerai de cette musique
qui nous pose sur une semblable symphonie.
Récital de noms et de pleurs,
combien de morts ai-je dû compter ?
Loin de leur apparence humaine,
combien de morts ai-je dû compter
après moi, ivres de mots ?
Le voyage des hommes m’éblouit.
Je ne vendrai pas son secret,
mon corps torturé en a vu d’autres.
Je retrouve les raisons de cet écrit
et je me perds dans l’acharnement
verbal, d’une histoire sans fin.
Je fuis le langage pressé qui donne aux mots
une dimension attendue.
Le temps est un juste équilibre pour effleurer
l’esprit, on le pose nu devant le fait.
Je me suis mise à l’extrémité des hommes
pour écouter leur voix
et j’ai vu la mer déployer sa mémoire.
Je me suis couchée sur l’herbe,
là où le soleil fait son apparition.
Monde de guerres incessantes,
de pleurs justifiés,
je me réfugie dans la clarté.
Ce soir je n’aurai de mots que pour toi,
ô âme passagère !
Ecoute mon refrain,
demain, peut-être, ne serais-je plus là,
allongée sur les pages de l’oubli.
Murmures, silences,
pour écrire
ces petits titres,
mineurs,
qui comme l’injustice
ont leur pouvoir de passer
dans la masse
sans qu’aucun choc
ne puisse les freiner.
***
Amis, je vous salue !
Comme vous,
je resterai bien seule,
entourée d’ombres
qui me rendent insomniaque.
Quelques clichés crachent
leurs venins dans le sable mouvant.
Ce qu’il faut dire,
on le dit après que l’on a substitué
la langue aux armes.
Amis, je vous salue !
Inspirée par la beauté vécue,
j’ai menacé tous les astres
de livrer leurs secrets.
J’ai pris le taureau par les cornes
et je me suis retrouvée à Cordoue.
J’ai vu les chants fuir
vers la fortune du verbe,
et tes pieds frôler la poésie qui brûle ;
pour lever le secret de cette âme poétique
emprisonnée dans mon sang.
La mort que j’ai vue me rend transparente.
Comme moi,
ils se rappelleront de la ville qui nous accueille,
des forces qui nous contrôlent.
Les signes qui font renaître
la geste des origines,
le triangle du soleil couchant,
ses horizons sur nos corps transparents.
Pâturages, aube naissante,
comme à l’accoutumée, j’allais écrire à droite
mon latin qui ne ressemble plus à rien.
Serait-ce cela la poésie, ce laissez-passer
autorisé par l’invisible
qui transporte l’existence vers les âmes éveillées ?
***
Ma plume hantée est une explosion
sur la toute puissante heure
qu’il me reste à vivre.
J’aime l’odeur de la terre,
le sanglot des océans,
l’orage qui persiste.
Le temps a fait ses ravages.
Rescapé du verbe,
j’ai su maintenir ma plume.
J’ai une lettre à composer
et je suis incapable de diriger son sens.
Je suis dans la dérive des mots
qui perce le verbe et ses éclats.
L’ivresse et la sagesse se sont réunies
auprès de moi.
Je ne saurais assurer le pas
sans le risque d’une fragilité reconnue.