Jeanine Baude
Écrivain, poète, essayiste, critique, née le 18 octobre 1946 à Eyguières dans les Bouches du Rhône. D.E.A de Lettres Modernes (Aix-en-Provence U1). D.R.H. dans une entreprise privée pendant plus de vingt années. Actuellement vit et travaille à Paris. Originaire des Alpilles, elle a suivi la route des rocs d’est en ouest et revient depuis Saint-Rémy de Provence et Cassis, des Hautes Tatras à la Pointe de Pern, d’Ouessant à New York sur le lieu de houle intime : le poème. Elle aime à dire « J’écris avec mon corps, je marche avec mon esprit » ou bien « Je commets le délit d’écriture » ainsi explorer l’indéfinissable champ.
A publié une trentaine de livres, essais, récits, poésie dont :
Dernières parutions :
Poésie
Ile corps océan/Isla Cuerpo Océano, traduction de Porfirio M.Macedo, L’Arbre à Paroles 2007
Le Chant de Manhattan, Seghers, 2006
L’Adresse à la voix, Rougerie, 2003
Prose
New York is New York, Tertium Éditions (ex Éditions du Laquet) 2006
Colette à Saint-Tropez, Langage et volupté, Images en Manœuvre Éditions, 2004
*A paraître : Le Goût de Buenos Aires, Le Mercure de France (automne 2008)
Essais
Rêver Québec avec Danielle Fournier, Revue l’Arbre à Paroles n° 140, juin 2008
Andrea Zanzotto, Revue H.i.e.m.s n° 9, 2002
L’insoutenable légèreté du poème, (4 poètes slovaques, Turan,Bielik,Zbrúz,Litvak) Revue L’Arbre à paroles n° 109, Belgique, 2000
Livres d’artistes
Aspect 1, avec Maria Desmée (Desmée Édition) 2008
Le Fleuve trop longtemps, avec Maya Boisgallays, Éditions Transignum, 2005
A collaboré à de nombreuses revues européennes et étrangères
Membre du comité d’édition de la revue Sud de 1992 à 1997
Membre du comité de rédaction de la revue L’Arbre à paroles
De nombreux extraits de ses œuvres ont été traduits en anglais, espagnol, italien, biélorusse et slovaque…
2008 Grand Prix de Poésie Lucian Blaga décerné par l’Université de Cluj-Napoca pour l’ensemble de son œuvre.
2006 Elle en île, dossier littéraire autour de l’œuvre de J.B., Revue Décharge n° 128
2003 Printemps-été, revue Littéréalité, Toronto, Canada, publication d’une interview de John Stout (Université de Mac Master, Hamilton, Canada)
1997 P.N. Review (Manchester, Angleterre) Oceanic Feelings par Roger Little (University Trinity College, Dublin, Irlande.
1995 Dalhousie University, Halifax, N.S. Canada par Michaël Bishop, Contemporary French Poets, volume II,“
from Hyvrard and Baude to Etienne and Albiach” Atlanta, Éditions Rodopi
Membre du Comité du P.E.N Club français, Secrétaire générale du Prix du poème en prose.
Voilà une poésie qui se laisse "déposer sur le sable" comme à l'abri des certitudes quand la neige vient "coudre l'horizon". Ici le mot est précis, rien n'est à l'abandon. Et les îles qui durent ce que vivent les roses : l'éternité, nous portent vers un rêve tapi tout au fond de soi.
Contact : jeaninebaude@orange.fr
LE CHANT DE MANHATTAN
(extraits)
La neige anime la fenêtre. Le pont de Brooklyn s’alourdit. Les oiseaux ramassés en grappes, ourlent les fontaines. Il y eut un silence avant - my heart is broken – puis la neige est venue coudre l’horizon.
Le chemin se faisait, dans le temps, avec malles et paniers depuis la descente du bateau jusqu’à ce point d’horizon cousu à la frontière du parc et de la ville.
Là, où je suis - now broken -, ils déposaient leur peu de victuailles et de trésors, leurs corps fatigués.
Ça s’étire : les longues jambes jusqu’à l’océan, les bras vers le ciel. Un corps, une ville, une étrange composition totalement imaginée par l’homme blanc. Le Peau-Rouge lui vendit pour vingt-quatre dollars cette boue, ces collines, ce fleuve. Étrange transaction si l’on sait que pour un Indien la terre ne nous appartient pas. Seulement prêtée le temps d’une vie et ainsi de génération en génération. L’homme noir, ce fut une autre histoire. Le vent se glisse entre les tours, avec fracas. Il raconte : New York is black, New York is red, New York is yellow.
Membre à membre, se démembrer sur une ligne d’horizon invisible. Si chanter Manhattan revient à dépecer les chats, les hommes, le moindre passant, le vagabond, la rue, le ciel. l‘océan se desquame à mesure que les vagues frôlent les buildings d’acier, les tankers, les poutrelles, la fumée noire des oiseaux, au-dessus.
( Éditions Seghers, 2006)
***
ÎLE CORPS OCÉAN
Sans agir sans
commune mesure
De l’océan ou du désert tu te risques
les soies habillent les corps
Au bout des tiges le sel
Les forêts d’agapanthes
aurifères les saxifrages
La lumière de l’île sépare la marche insomniaque et
les voûtes se penchent
à cru comme sur
une robe
Matin où la fenêtre océan devient impasse
***
Une manière de dormir
Les amants provisoires
les sautes de midi les pétales
jusqu’au blanc Le sang trousserait un visage
sans qu’il y eût de raisons à cela
Dans l’écart la double nuit de l’île
l’ange ou la langue
Se soustraire à l’immédiateté
L’éloigné des lampes suffira
***
L’évocation la marche la folie
Sur les tréteaux l’île tangue
Demain bleu sur falaises
***
Et ta main en première noces
inapaisé le rire Ce serait
une escale La tour Saint-Jacques
derrière les arbres comme un garrot
Le dôme du Sacré-Cœur un feuilleté
de livres et d’espaces Paris
Les mille positions sur draps froissés
De chambre en chambre tu
reposes la question l’élégie
Inespérée l’ivresse
(Éditions L’Arbre à paroles, Belgique, 2007)
***
ESQUISSES D’ÎLE
La mer, toujours recommencée, s’apprête comme une jeune fille, une épousée rebelle
où chaque maux attise son brasier
De la célébrer à nulle autre pareille, le quidam perpétue les monstres, les orages, les glaciers
une enfilade d’objets : palmes, masque, tuba, combinaison pour la vaincre, sonder son désespoir, sa fureur
s’étendre - et s’éteindre, au fond du fond
La porte de Mycènes, les cariatides, les atlantes s’y trouvent rassemblés en une forêt qui depuis des millénaires se minéralise, se liquéfie porteuse de tous les signes de vie
à conquérir
Démiurges à vos scènes, à vos polémiques, magistrats antiques qui réglaient nos vies
Elle a vécu ce que vivent les roses : l’ éternité.
***
S’emplir de ce paysage comme lin et soie se tissent entre de mains nubiles
Cet écran majeur, lac sans frontière, sous les agapanthes, les lavatères, les orties, les amaryllis
Trace un profil grec
d’une aisance souple infinie
définit couronnes et lauriers
Tu n’as plus d’histoire, tu es
dans le présent
ce fil à plomb
cet ajustement
du rêve
homme debout
dans le tintamarre des rocs, le rapt du vivant
plus une pluie pour dissoudre le sel
dans ta paume, un soleil
se précise
écrit, futur et passé, la ligne de crête
la naissance, l’étonnement, la violence du je.
***
Accords, désaccords d’un incertain voyage, la vie.
L’île surprend encore le passant
son granit, sa durée
distance focale
Ne pas être du côté des certitudes, se laisser déposer sur le sable
Toute la beauté de ses lignes ; falaises et collines plongent, vertige d’azur en azur
tu attends comme un désespéré s’accroche au néant, l’immobile, le sûr, le voyage
ton reflet miroite dans les airs. Tu le sais, tu danses.
Rien qu’un caillou dans la paume. Rien d’autre.
Ta demeure
bois flotté dans le soir, prestige éphémère, c’est durer.
( Inédits)