Pierre Maubé
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Pierre Maubé
Né en 1962. Aujourd’hui bibliothécaire en Bretagne.
Sept recueils de poèmes publiés, parmi lesquels : Sel du temps (Fer de Chances, 2002, réédition chez Mazette, 2010), Nulle part (Friches-CPV, 2006), Psaume des mousses (Éclats d’encre, 2007) et Le dernier loup (Bérénice, 2010),
ainsi que deux anthologies de poésie contemporaine, dont L’Année poétique 2009 (Seghers, en collaboration).
Membre des comités de rédaction des revues ARPA et Place de la Sorbonne.
Poèmes traduits en anglais, espagnol, russe, italien et roumain.
Deux recueils en préparation : Le temps ordinaire et Parfois je me bats, parfois je me débats.
Site anthologique : http://poesiemaintenant.hautetfort.com/
Site personnel : http://pierremaube.blogs.nouvelobs.com/
Présent sur les sites :
http://www.lavielitteraire.fr/index.php/litteralement-poesie/pierre-maube
http://lapoesieetsesentours.blogspirit.com/archive/2011/01/28/pierre-maube.html
http://www.printempsdespoetes.com/file_base/pjs/PJ127_publier_poemes.pdf
http://www.franceculture.com/emission-ca-rime-a-quoi-pierre-maube-et-nicolas-rozier-2011-01-08.html
http://biloba.over-blog.com/article-bbb-45444127.html
http://www.encres-vagabondes.com/magazine/maube2.htm
http://cheminsbattus.wordpress.com/2011/05/08/pierre-maube/
Pierre Maubé sait que si le poème "vient du plus profond que nous", il est "lieu d'hésitation et de vacance", "lieu de tâtonnement", "dérisoire et fragile" : "lieu commun". On retrouve chez ce poète, en dehors de toute référence précise, la fragilité de Verlaine, quelque chose qui sourd avec l'entêtement de la chanson grise. Mais nulle sagesse trompeuse ne saurait détourner le poète de sa lucidité. L'incertain et l'inachèvement sont affrontés avec cette vie "qui nous grignote/ chaque instant,/ chaque instant" et qui, chaque jour, "nous apprend à mourir". "Rien ne tient dans mes mains", avoue encore Pierre mais il retient cette fuite même comme la plus belle prise, un silence comme seul héritage d'un dialogue. Le visage est "effacé", le souvenir "éteint", le rêve "sans regard". Oui, Pierre lui aussi a tordu le cou à l'éloquence. Rien donc qui s'affirme ni se confirme ici. Cela trébuche et claudique, cela s'insinue comme une inquiétude obstinée et indicible, comme un balbutiement qui deviendrait fascinant, comme un "pays noyé", "où finissent les routes". Comme un pays "d'où l'on ne revient pas".
"Poème seulement si on ne lui échappe pas", suggère encore Pierre Maubé plaçant au plus haut l'exigence. Et effectivement on ne sort pas indemne de sa poésie.
Je suis heureux d'avoir cet homme-là comme ami. Car c'est un vrai.
***
Poèmes
File d’attente à la boucherie,
la porte de la chambre froide s’entrebâille,
laissant voir quelques carcasses suspendues
qui hier encore
bêlaient ruminaient dormaient,
se préparaient à notre assiette,
et bêtement je me demande :
pourquoi eux
et pas moi ?
Pourquoi moi le mangeur,
eux les mangés ?
Étourdi oubliant
la vie qui nous grignote,
chaque instant, chaque instant.
***
Ce lieu commun à ceux qui se croisent et parfois se rencontrent, ces limbes d'encre, ce carrefour improbable de mots noyés, de nuit épaisse, de sens semi-présent, de terre calcinée, de peur nouvelle et d'aube nue,
ce lieu commun, je l’appelle poème, ce lieu d’hésitation et de vacance, ce lieu perdu au bout des jours sans ombre, ce lieu de perte et de recherche, ce lieu offert au ciel de toute absence, ce lieu dérisoire et fragile, ce lieu d’un sacré sans prière et sans dieu, ce lieu brûlé, ce lieu d’espoirs inachevés, de peurs balbutiantes, de fièvre, de spasmes, de tâtonnements.
***
Chez toi, la faim n’a pas de gestes. Pas de visage et pas de voix.
Chez toi, le chant est ce qui reste d’un écho.
Chez toi, le regard manque, oublié un jour sur une rive disparue.
Chez toi, le cœur se désaccorde. Il lui reste à cogner sur la porte du temps.
Chez toi, le temps qui coule est du temps incertain, du sable gris au goût de cendre.
Chez toi, on n’attend plus, mais on reste debout.
***
Dialogue ?
Alan Turing est un mathématicien britannique. Il a publié l'article fondateur de la science informatique, donnant le coup d'envoi à la création des calculateurs universels programmables, également nommés computers, ou ordinateurs. Son modèle a contribué à établir définitivement la thèse Church-Turing qui donne une définition mathématique au concept intuitif de fonction calculable.
Ludwig Wittgenstein est un philosophe autrichien, puis britannique. Il a publié en 1921 le Tractatus logico-philosophicus, paru alors qu'il étudiait à Cambridge. Ses recherches ont permis des avancées décisives en logique, dans la théorie des fondements des mathématiques et en philosophie du langage.
Alan Turing naît à Londres le 23 juin 1912. En 1913, son frère et lui sont confiés par leur mère, qui rejoint alors son mari aux Indes, à la garde d'amis. Le couple ne reviendra en Angleterre qu'en 1926. Julius Turing pensait que ses deux fils souffriraient trop de la chaleur de Madras. Alan est assez rapidement perçu comme plutôt « réfractaire aux obligations de l’enfance ».
Ludwig Wittgenstein naît à Vienne le 26 avril 1889. Trois de ses frères se suicideront.
Alan Turing a été persécuté pour son homosexualité. Pour éviter la prison, il a dû accepter la castration chimique par prise d'œstrogènes.
On connaît mal l'intensité de la vie sexuelle de Wittgenstein, et ses possibles, certains disent probables, inclinaisons homosexuelles.
En 1935, Turing est élu fellow, équivalent d'enseignant-chercheur, du King's College.
En 1939, Wittgenstein, alors considéré comme un génie de la philosophie, obtient la chaire de philosophie de Cambridge et acquiert la nationalité britannique.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Turing dirige les recherches sur les codes secrets générés par la machine Enigma utilisée par les nazis.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Wittgenstein quitte Cambridge et se porte volontaire pour servir dans un hôpital de Londres et dans le laboratoire de l'infirmerie Royale Victoria
Alan Turing meurt le 7 juin 1954 d'un empoisonnement au cyanure, un suicide selon l'enquête qui s'ensuivit, quoique sa mère ait défendu la thèse d'un empoisonnement accidentel.
Ludwig Wittgenstein meurt à Cambridge le 29 avril 1951, quelques jours avant que ses amis ne viennent lui rendre un dernier hommage. Ses derniers mots furent : « Dites-leur que j'ai eu une vie merveilleuse. »
Turing a suivi les cours de Wittgenstein quelques années après avoir publié l’article dans lequel il décrit ses fameuses « machines de Turing ». On sait qu’un dialogue s’est engagé entre les deux hommes sur les mathématiques, la pensée, le calcul, le monde, la logique et l’intuition, les notions de vérité et de réalité, la confiance que l’on peut accorder aux mots. On ne sait pas ce qu’ils se sont dit.
Nous héritons de ce silence.
***
Faute d’identité,
je souris à l’éclair
qui me ronge la face.
Ce qui me sert de voix
hésite entre le feulement
et le spasme.
Mes empreintes digitales
dessinent un paysage dévasté,
sentiers perdus en des landes stériles,
où errent des souvenirs inachevés.
***
La porte ne s’est pas ouverte
tu n’es pas entrée
parfois le soir déçoit
parfois la nuit oublie
Je me suis levé
j’ai réglé
je suis sorti
je suis monté dans ma voiture
J’ai inséré une vieille cassette audio
technologiquement dépassée
de tangos d’Astor Piazzola
dont le premier se nomme Oblivion
J’ai réglé le volume
au maximum j’ai démarré
J’ai roulé très vite dans la nuit
sur cette petite route que je ne connaissais pas
quelque part dans la banlieue toulousaine
souhaitant vaguement
me retrouver dans le fossé
puis à l’hôpital
dans une chambre dont la porte un soir
s’ouvrirait enfin
Ce serait toi
venue
rendre visite au blessé
***
Le vitrail nous rend visibles
les couleurs de la lumière
des personnages y vivent
les légendes que nous avions oubliées
tant de présences dans la lumière
tant de vies invisibles
dans la couleur unique
du soleil devant nos yeux
tant de vies en attente
de notre regard fraternel
une fois traversé
l’éblouissement
le vitrail donne sang et ciel
aux histoires apprises
au temps lointain de notre enfance
par lui nous traversons tant de nuits
tant d’ombre
arche de gemmes déployées
arc-en-ciel de la mémoire
***
Nos yeux suivront
le silence du ciel derrière les collines,
et le frisson de chaque branche,
et chaque source entre les feuilles, dans le soir.
Nos mains prendront
un peu de terre, au poids de vie, au goût de temps,
il se fera lumière
et le travail des siècles oubliés déferlera dans notre souffle,
et les regards évanouis reviendront parmi nous.
Nos voix devineront le nom imprononçable,
le nom présent depuis toujours,
et chaque fruit sera promesse,
et chaque floraison procédera de notre vœu.
Nous nous tiendrons
à l’avancée des arbres,
à la veine du monde,
à l’orée.
***
Notes, pauses, contrepoints
à Brigitte Évano
Quelque chose s'insinue en nous, venant de plus profond que nous. Quelque chose d'informe tente d'apparaître, de venir au jour, pousse, force, fissure, craquelle, monte, surgit. Vomissement, lave, sève acide, un peu de nuit advient, et devient encre sur la page,
Vite refroidie, certes. A ciseler, à élaguer, à modeler pour tenter de préserver quelque chose de son urgence originelle.
*
Lire est dialoguer, donc écrire. Mais toute écriture est, symétriquement, lecture. Faisant écho aux poétiques précédentes (que ce soit pour les prolonger, les renouveler ou les nier), l'écrit neuf les infléchit, les oriente, les détourne, les fait parler d'une autre voix et délivrer un autre sens. Apollinaire écrivant Alcools lit et nous fait lire Verlaine différemment, Éluard écrivant Capitale de la douleur lit et nous fait lire Apollinaire différemment, Char écrivant…, Bonnefoy écrivant…
Ainsi de Balzac et Rabelais, Flaubert et Balzac, Proust et Flaubert, Giono et Proust, Gracq et Giono, Pierre Michon et Gracq. Ainsi de Laclos et Madame de La Fayette, Stendhal et Laclos, Radiguet et Stendhal, Simenon et Radiguet, Vailland et Simenon, Quignard et Vailland. Généalogies de papier, sang d'encre.
*
Je n'y peux rien, je préfère et préfèrerai toujours les découvertes de Rimbaud à celles de Mallarmé, la colère à l'anxiété, le grand large au confinement, les convulsions et les ruades aux délicieuses tortures de l'attente, le langage de la fièvre à celui de l'immobilité, la poésie de l'horizon jamais atteint à celle de la chambre close.
*
Se garder, pourtant, d'opposer systématiquement l'Ardennais au professeur d'anglais, l'homme "aux semelles de vent" au rédacteur de "La Dernière Mode". "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" annonce – et peut-être rend possible – la divagation "Je dis ‘une fleur’ et musicalement se lève l'absente de tous bouquets". Même refus du descriptif, même défense et illustration de la "sorcellerie évocatoire", même louange des sortilèges de l'allusion.
*
La poésie est marche. Qu'elle soit assurée (Péguy, Claudel, Saint-John Perse, Breton, Aragon, Guillevic) ou trébuchante (Corbière, Laforgue, Artaud, Daumal, Tardieu, Follain). Chaque vers est l'écho du pas sur le sol, le choc du talon sur le sol, le creux, un instant, du pas dans la poussière.
*
Ce poème m'a distrait, un moment, il a suspendu le cours du temps, agrémenté le quotidien. Après lui, je reprends, identique. Il n'a donc pas été pour moi, cette fois-là, poème. La rencontre n'a pas eu lieu, le rendez-vous est manqué.
Poème seulement si on ne lui échappe pas, s'il ne nous laisse pas indemne. Si nous n'avons pas d'autre choix, après, que de tenter de reconstruire ce qu'il a détruit.
*
"Mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire ?" demande Rilke.
Et s'il m'était permis d'écrire, si l'on m'encourageait à écrire, vivrais-je ?
*
J'appelle bavard tout poète satisfait de sa parole. Cela n'a rien à voir avec la prolixité. Char est bavard, malgré son laconisme. Hugo ne l'est pas, malgré ses déluges.
***
à Ph. T .
Parle-moi, mon ami, parle-moi de ce pays
où tes pas te menèrent il y a si longtemps,
ce pays de froid étrange et de faim disparue,
de temps aveugle et de lumière absente,
ce pays de marais légendaires
où les anges grelottent de fièvre
à l’ombre de leurs ailes d’ombre,
ce pays gris où les herbes se taisent,
ce pays de poussière et de peur inutile,
cette terre germant au cœur de nos blessures,
à la salive de nos jours,
ce paysage nu,
ce visage effacé, ce souvenir éteint,
ce rêve sans regard.
Parle-moi de ce pays de suie et de silence,
parle-moi de ce pays noyé,
parle-moi de ce pays où finissent les routes,
parle-moi de ce pays d’où l’on ne revient pas.
***
Que la vie nous apprend à mourir, cela chaque jour nous le prouve.
La dissolution, la décomposition lente de chaque jour.
Cette déperdition de forces
lentement inéluctablement s’écoulant du corps,
cette aspiration lente
à rejoindre l’ombre qui va s’élargissant
sur la terre paisible.
Et cela chaque jour, chaque jour.
Pas un n’échappe. Pas un ne diffère.
Toujours l’enthousiasme du matin
(avec déjà pourtant, discrète, la fatigue),
toujours le choc vaillant des premiers pas sur le sol neuf,
et peu à peu l’usure,
les rencontres, l’oubli, la solitude, la mémoire,
ces événements,
cette attente,
inutilité du plein, inutilité du vide,
et puis la mort de chaque soir, le corps de l’autre,
le plaisir,
la mort.
***
Rien ne tient dans mes mains,
rien l’univers le temps la nuit le sang,
tout glisse et fuit l’amour est froid il pleut,
les étoiles le ciel les souvenirs d’enfance,
quelle enfance, tout est sable dans mes doigts, tout est vent et poussière,
cendre glissant coulant disparue, fumée fumée déjà évanouie,
mes mains sont vides.
Je regarde mes mains vides d’un regard vide,
et je n’ai plus le temps et je n’ai plus de nom,
je suis agenouillé au milieu des ruines d’une vie
que je commence à oublier,
il pleut sur mon visage et sur mes yeux,
il pleut sur ma peau grise, sur mes os et sur ma soif,
il pleut il pleut, la peau de mon visage
reste sèche,
mes yeux oublient d’être fertiles,
il pleut et dans mes mains
aucune goutte ne reste.
***
Une vague soudain
a déchiré la mare,
et l’eau verte où dormaient
promesses et regrets
est devenue rivière,
et vérité sans trêve
en route vers la mer
de nos premiers regards.
***
Cette caresse profuse, ce marais luminescent,
germination incessante, lieu sans nom au sens absent,
lieu de l’effort, de l’attente, du levant
et du ponant de la peine, lieu s’ouvrant
sur la peur universelle, la vérité aux abois.
Pleine veine, lieu du temps,
lieu du passage et du vide, lieu du sang,
lieu de la rumeur secrète, soulevant
les tempêtes souveraines, fleuve blanc,
milieu des promesses vaines, s’enivrant
de chaque tourbillon rouge,
de chaque fleur dénouée.
Notre closerie commune, notre secret partagé,
notre nuit intime où germe notre plus intime voix,
notre vie nue et fragile, notre force ruisselant
dans la pénombre intérieure, la caverne des marées.