Marie-Josée Christien
Elle est membre de la Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse, de l’Association des Ecrivains Bretons et de la SDGL.
Lauréate du Prix Xavier-Grall pour l’ensemble de son œuvre, elle a publié une vingtaine d’ouvrages dont beaucoup sont épuisés.
Les extraits du temps (préface de Guy Allix, Les Editions Sauvages) Prix des Bretons de Paris 2009
Constellations (tirage limité en typographie, Atelier de Groutel)
Aspects du canal (Sac à mots éditions)
Correspondances (recueil à deux voix avec Guy Allix, Les Editions Sauvages, collection Dialogue)
L’attente du chat (illustrations de Laëtitia-May Le Guélaff, Les Editions Sauvages)
Temps morts (préface de Pierre Maubé, illustrations de Denis Heudré, Les Editions Sauvages)
Petites notes d’amertume (préface de Claire Fourier, Land art de Roger Dautais, Les Editions Sauvages, collection La Pensée Sauvage)
Direction d’ouvrages
Anthologie Sauvage (Spered Gouez, 2003)
Carhaix, itinéraires intérieurs (Spered Gouez, 2004)
Femmes en littérature (paroles et témoignages, entretiens, anthologie de 37 auteures, Spered Gouez, 2009)
A paraître en 2015
Quand la nuit voit le jour (ouvrage de poésie jeunesse, photographies de Yann Champeau, Tertium éditions)
Pour présenter Marie-Josée dont je suis l'oeuvre depuis plusieurs années maintenant et avec qui je partage beaucoup de convictions, un même souci éthique devant la poésie et une belle amitié, je reprends cet extrait de ma préface des Extraits du temps.
On pourrait écouter Marie-Josée comme on se repasse, sur un vieux lecteur de disques microsillons ou plus simplement dans sa mémoire, les « voix chères qui se sont tues » et qui ont dit tant de choses que nous n’entendions pas de leur vivant. C’est là une poésie mystérieusement humaine car elle rejoint et affronte cette énigme que nous, qui sommes « nés/ pour tomber et saigner », fuyons si maladroitement. C’est même une poésie proprement foudroyée d’humanité qui sent, plus qu’elle ne saurait savoir, que « Les hommes meurent parfois/ à l’heure où le silence leur murmure/ ce qu’ils sont », qui sent que les hommes qui « parlent de lumière » « oublient leur ombre sur le trottoir ». Une parole qui sent que « questionner reste l’essence/ de notre espèce » et ici chaque poème est question (combien de points d’interrogation viennent clore/ouvrir ces poèmes ?) quand bien même, parfois, il donne des réponses… qui ne font jamais qu’interroger.
Il y a là, entre autre, cher lecteur, dans cette absence de réponse, comme une blessure, comme la trace d’une chute, d’un abandon, et, avec cela, l’interrogation même sur le pouvoir de la parole, Cette parole qui n’est plus présence mais « absence » alors que « Le monde/ est un régulier mouvement/ d’oubli ». Très souvent, au fil de ces pages, la négation « ne plus » dit cette dépossession. Ainsi dans ce poème :
« Notre esprit
N’est plus capable de comprendre
L’univers tout entier
Nous ne parvenons qu’à percevoir
Çà et là
Des éclairs indéchiffrables
Existe-t-il une pensée exprimable
En fin de compte ? »
Oui, « ceux qui savaient ne savent plus » et « toute nuit/ n’est que l’ombre/ d’un dieu perdu ». Mais évoquant cette perte, cet abandon, d’un Eden jadis entrevu tel le « souvenir d’un reflet », Marie-Josée, par ses questions et dans son aveu d’impuissance même, nous met à notre monde qui pour être terrible n’en est pas moins nôtre. Elle nous met au devant de notre glaise. Certes, « simples éclats/ du savoir de l’Univers/ nous ignorons tout » mais cette ignorance n’est rien moins que paradoxale : elle est aussi affirmation, confirmation. Bien loin de ces « disciples de la lumière » qui « n’ont jamais inventé que des ténèbres opaques », elle est cette lucidité dont un autre poète affirmait qu’elle est la « blessure la plus proche du soleil » (René Char). Et, comme en écho, Marie-Josée de rappeler que « la lumière /est née d’une énergie douloureuse. ».
C’est qu’il y a justement ces éclats multiples ou ces reflets auxquels « nous sommes condamnés » et qui, parfois aussi indéchiffrables pour le poète qu’une pierre de rosette, n’en demeurent pas moins porteurs justement d’indicibles promesses qui nous tiennent en haleine. Et en patience…
Ce mot, « patience », Marie-Josée le porte, avec toute son épaisseur, douloureuse elle aussi, en chacun de ses poèmes. Ne louera-t-elle pas les « temps morts » en un autre recueil ? C’est que, là encore, tout est paradoxe et il nous faut affronter l’ombre pour débusquer en son sein quelque lumière. « Tout ce froid/ qui hurle noir/ est une source. » écrit Marie-Josée… Et un peu plus loin : « le soir ajoute/ un éclair d’ombre ».
"Un poème de Marie-Josée Christien se reconnaît instantanément. Bref, dense, vertical, ouvert sur l'immensité." Jacqueline Saint-Jean
" De livre en livre, de pierre en pierre, Marie-Josée Christien a construit une œuvre patiente et robuste, un peu à la manière de ces bâtisseurs bretons qui travaillent dans la durée." Georges Cathalo
" Marie-Josée Christien pratique avec bonheur le poème court, elle sait capter en quelques vers l'essentiel d'un paysage : c'est très visuel et bien écrit. [...] Elle tisse des relations insoupçonnées entre les relations visuelles, sonores, tactiles dans ses poèmes." Lucien Wasselin
"D'une langue dense et concise, creuset où se fondent paysages intérieurs et extérieurs, elle sculpte un moment de son destin et peut-être même celui de cette mince planète, la Terre." Philippe Gicquel
"L'œuvre de Marie-Josée Christien est fascinante. C'est une poésie magnifique, dense et complexe, un voyage réussi entre l'intime et l'universel." Bruno Sourdin
***
Le puits de Lascaux
*
*
la permanence du désespoir.
*
*
Depuis la rive caverneuse
un ciel souterrain
attache la terre
à la voûte des rêves
De l’univers recueilli dans un puits
il ne reste
qu’une silhouette.
(extrait de Lascaux & autres sanctuaires, Jacques André Editeur )
Les extraits du temps
Quand vers le fond du ciel
la nuit froide décline
quand les nuages bas crèvent
sans discipline
le ciel se boursoufle
et c’est la brûlure de l’univers
qui tombe
Les mouvements sont pris dans le froid
de la nuit
Ils cassent sous la gelée
comme les bords d’un verre.
*
La fenêtre s’ouvre
un écran immense où se tord la nuit
des lambeaux s’échappent
Le reflet du monde va s’éteindre
bien plus loin
La suite des jours est incertaine
l’air se met à vibrer
quand le sanglot de la nuit cesse
le temps est soudain clair
comme une goutte d’eau
Et le calme du ciel
épuise le courage
qui soulevait nos mains.
*
Les visages serrés dans le chemin
vers le ciel blanc et la terre durcie
aucun bruit ne passe
plus tard le ciel en remontant
laissera l’air plus pur
Nous passons à côté du vide
sans tomber
mais quelque chose nous fait trembler
nos yeux se trompent
derrière l’univers
c’est encore soi-même
que l’on voit.
*
Les forces du chagrin
ont atteint leur limite
et mon désir glisse sur la ronde
du temps
mon cœur obscur
jeté aux crevasses du doute
l’œil inquiet qui regarde
de temps en temps
par-dessus l’épaule du soir
si rien ne vient
à la rencontre des regards détournés
Tout est tiède dans l’air
Tout est froid dans le cœur
c’est un mélange de mort et de lumières
où les pétales sans odeur
claquent contre les murs où somnole la fièvre.
*
Le froid resserre l’étau
des passions clandestines
dans les dentelles tamisées
je dirai le chagrin
qui tissait ma lumière
C’est l’ardeur de vivre
qui dirige
la peur de perdre
de jouer son sort
au moindre bruit
Je n’espère rien du néant
Je n’oublie pas le présent
auquel il me faut tenir tête.
*
D’anciennes lois
régissent nos rencontres
Nos mains vont et viennent
L’incendie des guirlandes pulvérisées
pâlit
sans laisser d’auréoles
Les lignes ont perdu
l’assurance abjecte que donne
l’équilibre
Tout s’écroule ou s’envole
en un jet de hasard
A force de fréquenter
l’envers cérémonieux des saisons
j’ai découvert l’issue secrète
qu’utilise le silence.
(préface de Guy Allix, Les Editions Sauvages, Prix des Bretons de Paris)
Temps morts
Je m’immobilise
pour ne pas détruire
la furie minutieuse des atomes
La hâte
égare
la précision des sens
consume l’éveil.
*
Dedans dehors
ma mémoire
élargie d’échos
s’attarde
vers des issues lointaines
Je me tiens debout
pour ne pas m’égarer.
*
Epuisée
par un regard attentif
la nuit comme un fantôme
se disloque lentement
le halo des rêves
toujours
hors d’atteinte.
*
La lumière
ployant sous l’hiver
s’efface
sans reflet
ni détresse
Les gouttes de pluie
s’obscurcissent et glissent
plus lourdes
que la terre
La durée
n’a de sens
que dans les temps morts.
*
L’ébauche du jour
dénoue
le lacis des vents
les pores de la terre
exsudent la lumière
circulant dans la courbe de l’exil
la voix
qui me fait écho
n’est plus la mienne
elle ne craint plus les lenteurs
inexorables.
*
On se s’habitue pas
à se dissoudre
dans la nuit qui monte
pour tenir
on se retire plus loin
on essaie de ruser
pour unir ce qui nous déchire
sans comprendre.
*
Le silence
s’arc-boute
relevant plus loin
l’air possible
tout s’est assourdi
On essaie de s’enraciner
plus loin à l’intérieur.
*
La flamme s’impatiente
le silence
après toute question
espère et tremble
comme une défaite.
*
Des chemins d’ombre
tressaillent
de talus en talus
et ensemencent d’échos
le flux des voix
qui s’éloignent
bivouacs des mémoires
sans carte ni cadastre
où le souffle
s’épuise.
*
L’ardeur de la marche
reconstruit notre soif
de passagers en transit
voyage futile
dont il ne reste
que quelques syllabes.
*
Je m’obstine à dénicher
le pas à pas
fragile
des tremblements
qui vacillent dedans
Le chemin seul
importe.
*
Le sommeil extrême
de l’hiver
me nourrit
de réminiscences de pierres
Il délie la lumière
gorgée de patience.
*
Les sentiers
tracés à pas d’homme
longent le silence
d’une vie
Une blancheur éparse
laconique
s’obstine
jusqu’au ciel
Je laisse aux mots
le soin de veiller.
*
Au fond des mots
épris de nuit
mon silence
a longtemps erré
dans l’écho
de sa langue à naître
j’adopte
la marche anonyme
réponse de ce qui
en moi
respire la terre.
*
Entre pesanteur et envol
un scintillement de bleu
apaise les paroles
et la poussière des mémoires
les interstices
entre les frissons du jour
s’accumulent
en limons
Le chemin
se poursuit
fugitif.
(Les Editions Sauvages, collection Askell, 2014)
Le musicien Eric Dony a composé sur cet extrait une musique au piano pour accompagner la lecture publique de Marie-Josée Christien.